Peut-on être amoureux de la nature et des animaux, tout en tuant d’inoffensifs individus à coups de fusil ? Beaucoup de chasseurs l’affirment.

Notre ère est pourtant celle des supermarchés. Nous n’avons plus besoin de survivre dans la forêt… Mais voilà. L’argument récurrent des chasseurs de lapins est toujours le même : « Il faut réguler les espèces ».

Tout d’abord, quel manque d’humilité de notre part ! La Nature aurait-elle besoin de nous, pour se réguler ? Cela fait des millions d’années que celle-ci se régule tout seule, mais aujourd’hui elle dépendrait des êtres humains pour se gérer ? Que ferait-elle, sans nous ? Se perdrait-elle ? Commettrait-elle des erreurs ? Cela n’a pas beaucoup de sens. Cet argument démontre surtout à quel point nous refusons de vivre en harmonie avec elle. Nous préférons la contraindre à nos désirs, à nos lois.

Que veut dire « réguler » ? Cela signifie, dans le langage des chasseurs, qu’il faut réduire les espèces invasives proliférant dangereusement près des infrastructures humaines (routes, villes, champs…), et qu’il est nécessaire de maintenir, voire renouveler les équilibres naturels…

Tout d’abord, comprenons que nous avons tellement réduit l’espace naturel des animaux sauvages qu’ils sont contraints de venir « chez nous ». Car le vrai problème, le voilà : « Chez nous », maintenant, c’est quasiment PARTOUT ! Sans compter que nous avons massacré quasiment tous les grands prédateurs (loups, ours, lynx…), bouleversant par là même les écosystèmes.

Les équilibres naturels ont donc été détruits par NOTRE faute.

Et que disent nombre de chasseurs, à présent ? Ils arguent que « la chasse peut résoudre en grande partie ce problème des équilibres… ». En réalité, la chasse ne sert pratiquement jamais à réguler les espèces. En France par exemple, on estime que sur trente ou quarante millions d’animaux tirés chaque année, vingt millions d’entre eux proviennent d’élevages* !

Étonnant, lorsque l’on entend les chasseurs jurer qu’ils sont les défenseurs des équilibres naturels ! D’ailleurs, afin de redorer son blason, la Fédération Nationale des Chasseurs n’a pas hésité, en 2018, à lancer une étonnante campagne de communication en France. En voici le slogan : « Les chasseurs, premiers écologistes de France » !

Près de chez moi, quand j’habitais en Belgique (dans la région de Namur), j’assistais, tristement, à des « lâchers » de faisans. Chaque année, les poussins étaient importés des Pays de l’Est. Après avoir été élevés quelques mois en volière, on les « libérait » dans nos forêts et nos prairies. C’était le signal que le carnage allait bientôt commencer… On en voyait partout, des pioupious : dans nos jardins, sur les routes, dans les arbres, au milieu du village. Ils n’avaient peur de personne ! Comment dire alors que la chasse est une régulation des espèces ? Ces pauvres faisans s’envolaient à peine quand on les approchait, nous demandant plus de grain que de plomb.

Et puis arrivait le moment tant attendu : l’ouverture de la chasse ! Je voyais des remorques chargées de chevreuils, de chevrettes et de faisans ensanglantés, défiler dans les rues de notre hameau, le dimanche après-midi. C’était la « récolte » du jour… Perchés sur leurs tracteurs et leurs 4X4, les chasseurs semblaient heureux, souriants et épanouis. J’avais tant de mal à contenir ma tristesse.

Ces pauvres animaux n’avaient rien demandé à personne ! Au petit matin de ce triste jour, sous ce joli ciel d’octobre, ces êtres délicats broutaient et gambadaient encore. Et ils étaient là, l’après-midi, gisant à l’état de cadavres. Qu’il doit être douloureux de recevoir une décharge de plombs dans le corps ! Les chasseurs y pensent-ils, parfois ?

J’espère que oui.

Souvent, ces millions d’animaux lâchés dans la nature (pour être chassés ou pour « repeupler » des territoires…) ne savent pas se nourrir seuls. Ils sont des cibles faciles, et oublient de fuir devant leurs prédateurs. De plus, ces animaux dénaturés affaiblissent le patrimoine génétique des animaux sauvages de la même espèce, ce qui est plutôt dommage quand on veut
« réguler la nature »…

J’ai vu aussi, dans ces forêts belges, comment on nourrissait les marcassins au maïs et aux pommes de terre. Les jeunes sangliers, accompagnés de leurs mères, galopaient après les « quads » pour dévorer ce qu’on leur jetait, durant l’hiver ! En effet, beaucoup de chasseurs nourrissent les sangliers hors des périodes de chasse, afin de conserver les populations près de leurs fusils. Ainsi il y aura encore plus d’individus à « réguler », quand la saison de la chasse sera lancée ! Quelle aubaine ! Et comble de l’ironie, certains paysans quémanderont des aides financières pour leurs champs retournés… par des hardes de sangliers « sauvages » !

Cette façon de nourrir les animaux – dont le lobby de la chasse ne parle pas beaucoup – s’appelle « l’agrainage ». Elle est répandue dans tous les pays, y compris en France.

En vérité, la nature se régule très bien elle-même. Si une espèce prolifère excessivement, des maladies surgissent pour baisser naturellement le nombre de sa population.

Mais les êtres humains sont incorrigibles ! Alors que nous n’arrivons pas à nous réguler nous-mêmes, nous voulons réguler les autres !

Quand bien-même, si des biologistes estimaient que certaines populations animales auraient avantage à être aidées ou régulées, nous pourrions lancer des campagnes de stérilisation. Nous pourrions aussi favoriser la capture d’animaux dans les zones où ils sont en surnombre, afin de les relâcher dans celles où ils sont moins présents.

Il y a tant d’autres solutions que le fusil !

La chasse fait beaucoup de mal, tant aux animaux qu’à la nature. Elle laisse des bébés mourir au nid ou dans les terriers. Elle blesse des animaux, agonisant parfois durant des jours. Tuer n’est pas un acte anodin. Offrir un fusil à son enfant, afin de lui apprendre à enlever la vie à des êtres sensibles, n’est peut-être pas la meilleure idée quand on veut lui transmettre l’amour de la nature et des animaux. Ceux-ci survivent déjà comme ils le peuvent, dans un monde naturel impitoyable. Leur envoyer du plomb dans le corps et des chiens aux trousses, voilà un loisir très cruel.

Certains d’entre eux avouent prendre un vrai « plaisir à tuer ». Au moins, ils sont sincères et ne font preuve d’aucune hypocrisie.*

En France, grâce à un lobby surpuissant et une représentation parlementaire déloyale et injustifiée, 2% de la population impose son point de vue au reste du pays. Conséquemment, chaque année dans l’Hexagone, on estime que deux cents millions de cartouches sont tirées et dispersées dans les milieux naturels. Ce sont des tonnes de plastique et d’éléments métalliques éparpillés. Six millions de kilos de plomb – matériau hautement toxique, sont déversés dans la nature tous les ans. De ce fait, un nombre incalculable d’oiseaux meurent de saturnisme (en particulier les rapaces), contaminant la chaîne alimentaire. « Les chasseurs, premiers écologistes de France » ? Ah…

Une tradition ou des habitudes, quand elles sont nocives et font du mal aux autres, devraient être ré-envisagées et changées par de nouvelles pratiques : les chasseurs pourraient par exemple prendre des sacs, le dimanche matin, et partir en balade pour nettoyer les campagnes et les forêts, qu’ils aiment tant ! Ils pourraient construire des passages pour les petits animaux, afin qu’ils ne meurent pas écrasés sur les routes. Voyons, aiment-ils la nature ? Pourquoi n’organisent-ils pas des campagnes de sensibilisation pour arrêter l’agrainage ? Pourquoi ne luttent-ils pas contre les nombreux élevages d’animaux, lâchés pour se faire tirer comme de vulgaires plateaux de Ball-trap ? Les « premiers écologistes de France » seraient également bien inspirés de favoriser la réintroduction du loup, des ours et de l’ensemble des prédateurs, afin d’aider la nature à se réguler elle-même.

Oui, les chasseurs pourraient poser leurs fusils, leurs couteaux, et aider les animaux. Je ne doute pas que nombre d’entre eux commencent à le faire, et le feront encore plus dans les années à venir. Les générations passent, c’est une bonne nouvelle.

Parfois, je pense aussi aux éleveurs de moutons et de brebis criant après le loup, dans les montagnes. À leurs yeux, la réintroduction de ces prédateurs est une hérésie. Ces nouvelles générations d’éleveurs ne semblent plus vouloir faire comme leurs arrières grands-parents, qui passaient l’été près de leurs animaux, dormant à la belle étoile ou dans des cabanes de bois. Ils n’ont plus de chiens, ces gros « Patou », qui protégeaient les moutons. Non, maintenant les troupeaux sont laissés sans berger dans les pâturages, et l’on se plaint du loup. Mais le plus étonnant est d’entendre certains éleveurs tenter d’attendrir les journalistes, suite à la mort d’un agneau. J’aimerais leur demander : « Que faites-vous, à longueur d’année ? Pourquoi élevez-vous vos animaux ? Est-ce pour leur offrir la vie et les dorloter, ou pour les envoyer à l’abattoir au bout du compte ? » Pour un agneau, finir à la broche ou sous les dents d’un loup, il n’y a pas grande différence…

En fait, chacun protège ses intérêts. Mais décidément, ce sont toujours les animaux que l’on oublie : que l’on soit loup ou agneau, qui se soucie d’eux, réellement ?

Le lobby de la chasse contraint nos ministres, nos députés et nos « sages » à autoriser et encourager cette pratique d’un autre âge. Mais elle aussi, finira par disparaître, espérons-le. Il faut pour cela sortir de ce principe que l’humanité est la Reine de la Terre. Nous devons partager nos territoires. La nature n’est pas plus à « nous » qu’au reste des animaux. En d’autres termes, nous ne sommes pas seulement « chez nous ». Nous sommes aussi « chez eux ». Vivre en harmonie avec un fusil à la main est difficilement envisageable. Nos frères et nos sœurs les animaux vivent comme ils le peuvent. Ils sont plongés, comme nous, sur cette planète aux lois contraignantes. Ainsi, au lieu de les tuer, nous pourrions les aider car ils sont vulnérables.

Aujourd’hui, cette façon de tuer est appelée « loisir » ou « sport ».

En vérité, la chasse est un fléau mondial. Des centaines de millions d’animaux sont abattus chaque année sur la planète. Pour cela, beaucoup de méthodes existent. La chasse au piégeage (les petits animaux paniqués agonisent, se rongeant parfois la patte pour s’enfuir), la chasse à courre (les animaux meurent épuisés, poursuivis et harcelés par une meute de chiens affamés), la chasse à la hutte (le tireur est en position de camouflage dans une cabane, sur un étang ou dans un bois…). Il y a également la chasse en battue (les chasseurs avancent en ligne, pendant que d’autres attendent les animaux effrayés), la chasse au chien d’arrêt, la chasse à l’affût, la chasse aux appeaux, la chasse sous terre (on piège un animal dans son terrier, grâce à des chiens ou des belettes…). Il y a la chasse à l’arc et à l’arbalète, la chasse à la glu (les petits oiseaux sont littéralement « collés »). Il existe aussi la chasse au gros gibier, en Afrique ! Et puis, évidemment, n’oublions pas le braconnage, cette chasse illégale très répandue, accélérant l’extinction d’espèces entières. Il existe la pêche en rivière ou en mer, avec tant de façons de tuer : sous l’eau au fusil, sur l’eau au harpon ou au crochet, à la canne à pêche, au casier, au filet de plusieurs tonnes, à l’électricité… Il existe même la chasse aux phoques ou aux coyotes en hélicoptère ! Notre imagination n’a pas de limite. Au large de l’île de la Réunion, il arrive que l’on jette à l’eau des chiens et des chats vivants, en guise d’appâts pour pêcher le grand requin blanc. Pour ce faire, d’énormes hameçons traversent leur gueule, à vif. Ces images insupportables sont relayées, entre autres, par les fondations « Brigitte Bardot » et « 30 millions d’amis ».

Certaines chasses paraissent-elles plus inhumaines que d’autres ? Il s’agit toujours de tuer un être sensible, pourtant. Un être aspirant à vivre tranquillement.

En France, on estime que le chiffre d’affaire annuel relatif à la chasse s’élève à 3,6 milliards d’euros.* Imaginons au niveau mondial : les armes, les munitions, le matériel, ainsi que les sociétés de chasse représentent un marché colossal, défendu par un lobby aussi puissant qu’agressif, tenant encore dans ses griffes beaucoup de nos responsables politiques…


Alors, ouvrons les yeux, il est temps.


Guillaume Corpard,
Auteur du livre “Un Cri pour la Terre”,“Un Cri pour la Terre”, disponible ici : http://shop-parhelie.com/index.php?id_product=22&id_product_attribute=0&rewrite=un-cri-pour-la-terre-de-guillaume-corpard&controller=product


* chiffres ONCFS (Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage).

* L’ancien porte-parole de la Fédération Nationale de la Chasse, Pierre de Boisguilbert, déclara au micro d’Europe 1, le 26 octobre 2018 : « Je tue pour le plaisir et j’assume […] Je chasse par amour, parce que j’ai un amour immodéré pour la nature » (https://www.youtube.com/watch?v=sRbGSDCmrCw)